Connaissez-vous « Le Chant des Roues ». C’est le titre du livre de Claude Marthaler qui raconte son voyage de 7 ans autour du monde avec son vélo, le Yak. Le Chant des Roues, nous l’entendons souvent lors de notre voyage.
J’aimerais vous raconter l’histoire d’un autre Chant.
Il y a au fond d’une forge, dans un village de la Côte vaudoise, une enclume. Cette enclume, c’était celle de mon grand-père. Le père Paul comme on l’appelait. Il était forgeron maréchal-ferrant. Quand j’étais môme, je passais toutes mes vacances chez mes grands-parents, dans ce petit village.
Quand le père Paul forgeait un fer à cheval sur son enclume il en sortait une musique reconnaissable à des centaines de mètres. Un, deux, trois coups sur le fer chauffé au feu, un coup sur l’enclume, pour garder le rythme. De ce coup sur l’enclume tintait un son d’une pureté, d’une limpidité égalant à mes oreilles de gamin le son de toutes les cloches du monde. Le « Chant de l’enclume de mon grand-père ».
Devenu adulte, chaque fois que je découvre une enclume au fond d’une forge, dans un atelier, ou sur un marcher artisanal, je ne peux m’empêcher de rechercher le Chant de l’enclume. Au fil des ans, j’en ai trouvé quelques unes qui n’étaient pas mal, mais aucune comme celle du père Paul.
L’autre soir, nous flânions, Rosy et moi dans la Calle Caracoles, la rue des Escargots, çà ne s’invente pas, lorsque je suis attiré par la musique sortant de la boutique d’un artisan bijoutier. Je rentre et là au milieu de la pièce, sur un beau billon en bois, une enclume, une vielle enclume, une très vielle enclume. Sur cette belle enclume, un marteau. Dans mon espagnol plein de fautes je demande à Pablo le bijoutier, si je peu faire « chanter » son enclume. « Si quieres », qu’il me répond « Si tu veux ».
Et là, la magie, l’enclume de Pablo, cette enclume de cette petite boutique de la rue des Escargots, cette enclume de San Pedro de Atacama au milieu du Chili, cette enclume chante. Elle chante comme celle de mon grand père.
Je partage ma découverte avec Pablo. « Elle a plus de 150 ans » qu’il me dit.
Lui, c’est l’odeur de sa grand-mère qu’il retrouve de temps en temps. Il nous montre une vielle photo épinglée au mur. Il se cachait sous ses robes.
Il sort un livre et nous montre une photo de son grand-père à lui. Son grand-père travaillait l’argent. Il me montre sa forge à lui. Et nous réalisons plus tard que Pablo en français c’est … Paul. Jolie coïncidence.
Bel échange, bons moments.
En sortant de sa boutique, je me retrouve plus de 50 ans plus tard, avec tous ces souvenirs. Ce père Paul qui me réveille à 5heures du matin, pour l’accompagner dans ses tournées de ferrage dans les fermes de la région. Des heures à tourner la manivelle du ventilateur de la forge portative qu’il trimbalait dans sa voiture. De l’odeur de la corne brulée par le fer encore chaud qu’il posait sur le sabot pour en vérifier le bon ajustement.
Du sirop de grenadine qui laissait des moustaches trahissant notre passage au bistrot pour l’apéro, permettant à grand-maman de nous « sermonner ».
Bons moments, doux moments, Gracias à la Vida, Merci la Vie.
Voilà l’histoire du « Chant de l’enclume de mon grand-père ».